Autoroute A69 : l’État aux petits soins pour Atosca

La société concessionnaire de l’autoroute Toulouse-Castres pourrait percevoir 41 millions d’euros d’argent public en 2026. Présentée comme un effort pour faire baisser le prix du péage, cette aide va en réalité tout juste éponger l’inflation. Et de sérieuses questions se posent sur son fondement juridique.

Emmanuel Riondé, 27 septembre 2025 à 15h30

Toulouse (Haute-Garonne).– Les pouvoirs publics s’apprêtent à faire un nouveau petit cadeau à Atosca : une enveloppe de 41 millions d’euros, qui témoigne de l’attention constante que l’État porte à la société (montée par le groupe de BTP NGE) concessionnaire de l’autoroute A69 entre Castres et Toulouse.

L’information apparaît dans un mémoire de 34 pages, daté du 10 septembre, remis au président et aux conseillers et conseillères de la cour administrative d’appel de Toulouse par les représentant·es de la communauté de communes Sor et Agout (CCSA) et de la communauté d’agglomération Castres-Mazamet (CACM). La baisse du prix du péage y est présentée comme argument en soutien de la requête en appel de l’État. Ce dernier conteste le jugement rendu en première instance, le 27 février, par le tribunal administratif qui avait annulé les autorisations environnementales ayant permis le début du chantier.

Dans ce mémoire que Mediapart a pu consulter, les deux communautés de communes confirment que les « mesures de réduction de tarif annoncées de 33 % » seront bien prises.

La réduction des tarifs avait été opportunément annoncée le 12 février, quelques jours avant l’audience du tribunal administratif. Mettant en avant « l’inflation exceptionnelle observée ces dernières années et […] l’évolution des indices et index d’ici la mise en service de l’autoroute », qui allaient conduire « à des tarifs kilométriques moyens plafonds plus élevés » que prévu, l’État et ses partenaires (région Occitanie, départements de la Haute-Garonne et du Tarn, CACM et CCSA), soucieux de « ne pas faire peser trop lourdement sur l’usager le coût de cette augmentation », s’engageaient à verser « une contribution forfaitaire additionnelle d’environ 41 millions d’euros » au concessionnaire, « en contrepartie de la baisse des recettes ».

Selon la délibération du conseil de communauté Sor et Agout du 18 février, ces 41 millions pourront être versés en une fois en 2026, ou en deux fois entre 2026 et 2027. Dans les deux cas, l’État en assume 50,8 %, la région 26,5 %, le département du Tarn 13,8 %, les deux communautés de communes situées sur le tracé se partageant les 9 % restants.

Un péage payé par « tout le monde »

Présentée comme un gage d’effort du concessionnaire et de l’État, cette annonce est pourtant biaisée. Selon le mémoire présenté à la cour d’appel, une « économie d’environ 1,5 euro sur un parcours Castres-Toulouse » serait le résultat d’une « baisse de 33 % entre les diffuseurs de Soual-Est et de Villeneuve-lès-Lavaur ».

Tour de passe-passe : cette baisse de 1,50 euro, censée s’appliquer au tarif de 8,37 euros annoncé au moment de la mise en concession (6,77 euros pour le tronçon A69 Castres-Verfeil, plus 1,60 euro pour le tronçon A680 Verfeil-Toulouse), a été calculée en tenant compte de l’inflation. Il s’agit d’une simple compensation de la hausse des prix.

« En réalité, à quelques centimes près, cette subvention va tout juste permettre d’éponger l’inflation, on revient au tarif 2021… », résume Geoffrey Tarroux, du collectif La Voie est libre. « Le terme de “contribution forfaitaire additionnelle” résume à lui seul le problème, s’agace Christophe Pouyanne, maire d’Appelle, une petite commune de la CCSA qui s’est opposée à cette décision. C’est juste faire payer à tout le monde un péage que certains n’emprunteront même pas. En plus, ça s’ajoute à la subvention d’équilibre. On payait déjà cher cette autoroute, là c’est carrément le tapis rouge pour NGE : on préachète son chiffre d’affaires avec de l’argent public, c’est ahurissant… »

De fait, ces 41 millions s’ajoutent aux 23 millions de la subvention d’équilibre endossée par l’État et les collectivités, faisant gonfler la participation publique au projet. Celle-ci s’est aussi traduite par un autre cadeau à Atosca : le phagocytage par le concessionnaire des déviations de Soual et Puylaurens. Deux ouvrages réalisés en 2000 et 2008 sur la RN126 avec de l’argent public, mais dont l’utilisation sera désormais conditionnée au péage de l’autoroute exploitée par un opérateur privé…

Au-delà des questions que pose l’injection supplémentaire d’argent public dans un projet dont la contestation populaire ne faiblit pas et qui, en attendant l’appel fin novembre, ne revêt pas pour la justice un « intérêt public majeur », l’octroi de cette subvention pose un autre problème : celui de son fondement juridique.

« Dans les contrats de concession d’autoroutes, il y a un doute sur le droit d’indexer les prix sur la base de l’inflation », explique Jean-Baptiste Vila, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux, actuellement en délégation à l’université de la Polynésie française.

Un décret de 1995 permet d’augmenter le prix des péages chaque année en tenant compte de l’inflation et de l’amortissement des travaux. Mais pour ce spécialiste du droit des concessions, auditionné en mai par la commission d’enquête parlementaire sur l’A69, ce texte est fragile : « Une ordonnance de 1958 interdisait l’indexation sur la base de l’inflation dans les contrats publics et une ordonnance est supérieure à un décret, donc le texte de 1995 n’était pas légal. Et il y a tout lieu de croire que cette illégalité initiale n’a pas été résolue », observe-t-il.

Il existe bien un article L112-3 du code monétaire et financier qui prévoit une exception à l’interdiction (stipulée par l’article L-112-1), concernant spécifiquement les « contrats de concession […] dans le domaine des infrastructures et des services de transport ».

« Mais cet article, issu de la loi écotaxe de 2013, note que les exceptions doivent être précisées en décret. Or, on n’a eu aucun décret depuis. L’État continue donc de se référer au décret de 1995, ce qui pose un sérieux problème de droit : dans quelle mesure un texte réglementaire, illégal au départ, peut-il être le texte d’application d’une loi adoptée vingt ans plus tard sans avoir soldé son illégalité ? », s’interroge Jean-Baptiste Vila.

L’universitaire replace le tout dans un enjeu plus large : « La logique des contrats de concession, c’est un pouvoir public qui confie des investissements à une société contre un droit d’exploitation borné dans la durée : cela amène à un équilibre économique prévisionnel. Mais ce n’est que prévisionnel, le cocontractant doit assumer un risque. Si on commence à distribuer des subventions publiques, à accorder des aides, on touche à cette notion de risque. En l’espèce, la question est donc de savoir si dans ce contrat, il y a toujours un risque pour le concessionnaire. Parce que s’il n’y en a plus, ce n’est plus une concession, c’est un marché public et ça n’obéit pas aux mêmes règles. »

Des « risques » ? Depuis le début, les porteurs de l’A69 avancent main dans la main avec les autorités pour les déjouer.

Ainsi de la durée inédite de la concession accordée à Atosca, cinquante-cinq ans, actée dans un avis de l’Autorité de régulation des transports de janvier 2022 (point 53 et suivants), qui donne à voir toute la mansuétude du « concédant » (l’État) à l’égard du concessionnaire. Ou encore, le 28 mai, du sursis à exécution du jugement du 27 février prononcé par la cour administrative d’appel de Toulouse, permettant de reprendre les travaux après trois mois d’interruption.

Ou enfin de ce soutien politique sous forme d’une loi de validation - portée par Jean Terlier, député (LREM) de la 3^(e) circonscription du Tarn, dont l’épouse est une cadre du groupe Fabre. Lequel a fait du projet autoroutier l’une de ses priorités logistiques. Les éventuelles adoption et promulgation de cette loi enjambant le judiciaire attendent désormais la mise en place du nouveau gouvernement.

Dans la foulée, Atosca pourrait donc récupérer un autre cadeau, sonnant et trébuchant cette fois. Sonnant comme une promesse mensongère et trébuchant comme un édifice mal fondé en droit.